Pitta, c’est quoi ?

Quand j’entends ce mot, en bonne gourmande que je suis, la première image qui me vient est celle d’un délicieux petit pain libanais garni de fromage et de légumes. Oui, mais pas seulement !
Pitta, c’est aussi ce « dosha » (cette constitution ayurvédique) dont nous parle la médecine traditionnelle indienne depuis des millénaires. L’Ayurvéda, philosophie de la prévention et de l’intelligence entre le macrocosme et le microcosme, nous renseigne (notamment) sur la façon dont les saisons nous influencent. En été, nous sommes soumis à la chaleur, la lumière, le soleil ! Or, pitta, c’est notre part de feu !

En automne, vient le joug du vent (vata), en hiver, de l’humidité, du retour à la terre (kapha). Mais de cela nous parlerons une autre fois.

Forte de mon expérience de thérapie par l’IFS (Internal Family System), j’ai à cœur de partager ma vision de l’influence de la « part pitta » qui est en nous. Je dis « la part » car on en a tous une. Pitta est en chacun de nous, même si on ne se sent pas concerné par tout ce qui le définit.

Quoi qu’il en soit, notre part pitta a tendance à augmenter en été, un peu comme si la lumière du soleil mettait de l’huile… sur le feu !

L’être humain est constitué de plusieurs « couches » dans lesquelles pitta s’exprime de façon distincte.

Sur le plan physique, pitta nous offre une bonne digestion. Le feu digestif (agni) s’exprime fort. (Cela concerne à la fois la digestion physique et psychique.) C’est ce feu à la hausse en été qui permet, par exemple, de manger plus de crudités et d’aliments « froids » sans conséquence désagréable.

On peut reconnaître les individus avec un fort « pitta » à une masse musculaire, bien présente, et qui se développe facilement, cela va de pair avec un goût pour l’activité physique, la performance et le dépassement de soi.

Quand pitta est déséquilibré, l’ «agni » a tendance à sortir de son siège, c’est-à-dire du plexus solaire, pour se diffuser dans tous les tissus. Il en résulte de l’inflammation : gastrite, tendinite, herpès, réactions cutanées, rougeurs, acidité, etc… Tout ce qui relève des « brûlures » est l’expression en nous de pitta.

Sur le plan psychique, pitta est une force qui pousse vers l’avant, d’une nature exigeante, impatiente, ambitieuse. C’est pitta en nous qui nous pousse à mener les projets, on voit grand, on ose, on réalise nos rêves. Mais gare : s’il ne s’accompagne pas de douceur, pitta peut devenir tyrannique, colérique, perfectionniste. Il s’agit de réussir à tout prix, d’être reconnu, d’arriver à l’objectif le plus élevé, quitte à se brûler (étymologie de « burn out »).

Sur le plan énergétique, pitta est débordant, de part son feu, et contrairement à un vata, cette énergie est endurante. Notre part pitta est aussi celle qui génère notre libido, notre appétit au sens large. Pitta est à l’origine de toutes nos faims. En cela, Il est garant de notre «en vie », qui peut se transformer en avidité ou insatiabilité quand on ne lui apporte ni conscience ni tempérance.

Sur le plan cognitif, pitta réfléchit de façon rapide et efficace. C’est notre part qui voit et organise, structure, planifie et passe à l’action. Du fait de son exigence, il peut être difficile de travailler avec quelqu’un dont la part pitta est importante, car ce n’est « jamais assez bien », ça ne va « jamais assez vite » ! De ce fait, notre part pitta préfère travailler seule. Si elle parvient à s’adoucir, elle peut pourtant se révéler très motrice et efficiente dans un travail d’équipe.

Pitta est associée au soleil, à la partie droite du corps et à notre part « masculine ». Elle aime l’action, le visible, le faire et le résultat.

Pour s’équilibrer, cette part a besoin de régulièrement se connecter à ses qualités contraires ou complémentaires, à condition d’y être disposée un minimum (sans quoi elle sera en résistance, ce qui est bien entendu contre-productif). Au niveau de la pratique, il s’agit d’être attentif à la notion de fraîcheur et de modération. En somme, de permettre à cette constitution tournée vers l’extérieur comme la lumière qui inonde alentour, de revisiter son intériorité et les qualités d’écoute, de réceptivité, de contemplation. Pitta est cette part en nous selon laquelle « s’arrêter ne sert à rien ». Or, en lui apportant (à travers la pratique) l’occasion de décélérer, elle maintient sa puissance sans se brûler elle-même.

Sur le plan relationnel, pitta est très sociable et chaleureux. Il s’agit en général de tempéraments « solaires », dégageant une certaine aura. C’est aussi une part qui aime être vue, valorisée, se trouver dans la lumière et qui nous pousse à rencontrer les autres. Si notre part pitta est prégnante, cela aboutit souvent à faire des métiers exposés et/ou ambitieux (enseignants, management, artistes de scène, politiciens, etc…). C’est une énergie qui se recharge dans le contact avec les autres mais qui peut être moins à l’aise avec l’intimité, le « tête à tête », la profondeur.

Sur le plan émotionnel, pitta est intense. Emotions vives, visibles et variables. La joie s’exprime dans un rire exalté, la colère explose sans contrôle !

Notre part pitta ? Passionnée, elle laisse s’exprimer au grand jour ce qui se vit. Ce n’est pas un tempérament linéaire. Ce sont des personnalités apparemment stables mais dont le comportement peut surprendre, comme une lave qui jaillit.

Dans la pratique, on va chercher à favoriser ce qui adoucit, arrondit, nourrit notre pitta des éléments qui lui manquent (l’air et l’eau, principalement). On évitera donc les postures debout réchauffantes et synonymes d’action. Toutes les postures comportant le mot « lune » seront à favoriser, pour compenser cette présence naturelle du soleil. La salutation à la lune, pratiquée lentement, constitue une façon saine de se mettre en mouvement pour un pitta. Néanmoins, les profils individuels dont pitta est le dosha principal pourront avoir besoin d’évacuer d’abord ce trop-plein d’énergie à travers une pratique plus intense comme l’ashtanga, à condition de faire suivre cette pratique d’une relaxation assez longue afin de « rafraîchir » le bouillonnement intérieur. Elle sera d’autant plus efficace si on la pratique jambes surélevées, contre un mur ou sur un meuble bas.

Apanasana, une posture allongée avec genoux sur la poitrine, constitue un mouvement descendant de l’énergie (apana vayu) optimal pour pitta dont le mouvement intuitif est ascendant (prana vayu).

Les extensions sur le ventre sont à pratiquer avec ménagement (car ouvrant le thorax, ce qui creuse le sillon de pitta !). Elles permettent cependant à agni, le feu digestif, de rester dans son siège, au niveau de la sphère digestive haute, au lieu de coloniser les autres tissus, induisant l’inflammation aigüe ou chronique.

Les flexions avant (utanasana, prasarita) permettent de cultiver pratyahara (le retrait des sens), ce qui est bénéfique à pitta, toujours poussé vers l’extérieur. Par ailleurs, l’étirement de l’arrière des jambes est rafraîchissant pour l’organisme, donc idéal en été ou en période de canicule.

Sur le plan respiratoire, notre part pitta a, ici encore, besoin de fraîcheur. Avant toute approche technique, il s’agit surtout de ralentir et de fluidifier la respiration. Le ralentissement peut être soutenu par la pratique de ujayi (la respiration océanique) et la fluidité par celle de la respiration dite « connectée » (base du travail de breathwork).

On peut également pratiquer shitali, cette respiration qui consiste à inspirer par la bouche à travers un petit tunnel formé avec la langue, ce qui génère une grande sensation de fraîcheur.

Pour prendre soin de notre part « pitta » dans le quotidien et/ou en période estivale, quelques rituels simples peuvent s’intégrer. Prendre une douche fraîche au réveil, surélever ses jambes en journée, pratiquer les bains dérivatifs ou favoriser tous les contacts avec l’eau (piscine, lacs, rivières…). Cela permet non seulement de rafraîchir le corps physique mais aussi de réguler ce feu intérieur.

Côté alimentation, le mieux est de suivre les rythmes de la nature. Les fruits et les légumes d’été gorgés d’eau nous poussent naturellement à nous hydrater, donc à mettre de « l’eau dans son feu » ! Si l’on se reconnaît dans beaucoup d’éléments du profil pitta, il vaut mieux limiter les fritures et les épices fortes type piment, le but étant toujours d’apporter à notre dosha dominant des qualités contraires.

Au-delà des conseils d’hygiène de vie et du type de postures, il faut garder en tête le « comment », et le « quand ».
En période estivale, on privilégiera une pratique de bon matin, ou le soir avant de se coucher. On recherchera toujours une intention juste, c’est à dire lente, modérée et compensant un mental pitta « guerrier ». S’autoriser, par exemple, à rétrograder dans une posture dont on sent qu’elle est trop intense. S’autoriser aussi à trouver une forme de confort, sans douleur. Apprendre à notre part pitta qu’il n’y a pas toujours besoin d’en « faire trop » pour se sentir vivre…

En somme, pitta a tout à gagner à expérimenter dans le corps une forme de sécurité et de contentement (santosha) dans le « moins » : la tempérance, loin d’éteindre le feu, le fait brûler lentement et éclaire notre chemin.

Cet article a été écrit par Taia Very, enseignante de Yoga chez Qee Paris 09