Découvrez la méditation et le billet d’humeur du mois de Marie-Paule Faure, enseignante en méditation en visio chez Qee.
Une amie avec qui je passe une semaine de vacances au bord de la mer me dit qu’elle ne va pas à la plage parce qu’elle a honte de son corps. Elle le dit sans complaisance, sans fausse modestie, je connais sa sincérité, je sais qu’elle ne cherche aucune réassurance de ma part, aucune protestation revalorisante. Mon amie médite, elle est ouverte à la spiritualité, à toutes les pratiques d’épanouissement de soi, elle est intelligente et cultivée, mais rien n’a pu venir à bout de cette honte, objectivement injustifiée, rien n’a pu la guérir de cette image d’elle-même, lui permettre d’accéder à cette demande impossible : aimer ou accepter ce qu’elle est.
Et je me demande comment réagir face à cette confidence qui me touche, je ne suis même pas sûre qu’elle attende quelque chose de moi.
Aussitôt et de façon quasi-pavlovienne m’arrivent en masse tous les lieux communs du développement personnel qui pourraient me permettre de l’aider, acceptation, lâcher -prise, phrases emblématiques inlassablement répétées « tu n’es pas tes pensées », « tu peux changer de regard sur
les choses », le choix est vaste.
Je me revois aussi à la fnac où j’étais allée quelques jours auparavant acheter des livres pour mes vacances, déambulant parmi l’offre pléthorique d’ouvrages sur le sujet, issus de sagesses ancestrales ou des dernières découvertes des neurosciences pour nous aider à mieux vivre, à devenir « une meilleure version de nous-mêmes », ou petits cahiers infantilisants « j’arrête d’avoir peur en 21 jours », « j’arrête de culpabiliser » « Vous êtes plus que ce que vous croyez » etc…
Le Développement personnel laisse entendre qu’il n’y a aucune situation à laquelle un individu ne peut faire face, que chaque problème est un nouveau challenge, et à titre personnel, un de mes mantras favoris – et très sincère – est que tout ce qui nous arrive est exercice. Je le pense vraiment, j’essaie de l’appliquer avec un succès inégal dans mon quotidien et je vénère la célèbrissime phrase de Mandela « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. »
Je n’ai évidemment rien contre le développement personnel, cette vague a ouvert les portes et les esprits, mais parfois cette vague m’épuise et je lutte contre cette marée d’injonctions souvent contradictoires, lâcher-prise et contrôle de sa vie, abandon de l’égo mais obsession de la quête de soi, je voudrais revenir au silence, j’aspire à une forme de désencombrement mental, à m’extirper de ce sentiment que tout se pense et s’effectue dans le trop-plein. Et ce jour-là, avec cette amie de longue date, face à la mer et à cet aveu qui laisse supposer un long chemin de confrontation douloureuse avec sa propre histoire, j’ai juste envie de me taire. Malgré tous les discours sur le fait que le bonheur est à portée de main pour peu que l’on travaille sur soi, je sens bien que toute parole, à cet instant, ne serait que bavardage inutile, j’ai juste envie de lui dire que je comprends. Que je n’ai pas de solution, que lui dire qu’elle n’a aucune raison d’avoir honte de son corps est vain et que rien de ce que je peux dire, là, maintenant, n’atteindra et ne dénouera ce nœud archaïque en elle où a pris forme cette croyance insensée mais solide comme un roc : qu’elle ne peut, en aucun cas, montrer son corps sur une plage. Aucun argument, aucune « technique » ne me semble à ce moment-là pouvoir répondre à cette honte. Parce que je suis moi-même traversée par d’autres hontes, d’autres malaises face auxquels je n’ai pas trouvé de solutions, parce que tant de choses qui façonnent nos existences restent incompréhensibles et qu’il faut, je crois, l’accepter. Je ne trouve pas, je ne sais pas.
Être avec l’autre dans le silence qui nous unit et nous rend plus intimes encore, ne pas avoir de réponse à tout, de solution à tout. C’était nous retrouver dans nos vulnérabilités nues, nos peurs, nos croyances folles et nos espoirs aussi. Ne rien dire, laisser s’ouvrir l’espace et regarder la nuit tomber.
« Ceux qui savent nous aimer nous accompagnent jusqu’au seuil de notre solitude, puis restent là, sans faire un pas de plus ». Christian Bobin.