TEXTE : Clémentine Koenig @Yoga Magazine
CRÉDIT PHOTO : Anaka

Le Bordelais Cyril Moreau enseigne le yoga restauratif, une pratique qui se vit comme un lent voyage intérieur. Rencontre avec un yogi léger comme un danseur et solide comme une montagne, qui a su sublimer ses rêves d’enfance.

« Ouvrez les yeux. Embrassez la pièce d’un large regard. » Cyril Moreau passe entre nous, observant attentivement la dizaine de Tadasana qui lui font face – une véritable chaîne de l’Himalaya. D’un œil expert, il repère en quelques secondes des épaules qui roulent vers l’avant, une main qui pourrait être plus tendue, des jambes qui devraient être plus solides. « Dans un cours de niveau avancé, récemment, je leur ai fait faire la Montagne pendant dix minutes. Ils ont adoré ! » Vous ne trouviez pas d’intérêt particulier à cette posture ? Cyril redore son blason avec enthousiasme : « En Tadasana, on apprend à être debout, face au monde, ancré dans ses fondements. J’ai voulu réhabiliter cette posture en donnant aux élèves le temps de voyager dedans. Parce qu’une montagne, ce n’est pas rien. »

Tadasana fait partie d’un petit enchaînement d’échauffement, mais l’atelier du jour est dédié au yoga restauratif : un yoga qui, comme son nom l’indique, restaure. Très lent et très doux, idéal pour les personnes souffrant d’une blessure physique… ou d’un mal plus intérieur. Ne confondez pas le restauratif avec le Yin Yoga, une pratique qui s’adresse – a priori – à des personnes en bonne santé, et où l’on cherche la frontière entre confort et inconfort. En restauratif, le confort prime. « Ce yoga où l’on prend son temps a vraiment besoin d’un coup de projecteur. Cela correspond bien avec ce que l’on vit actuellement, même nous les profs de yoga, tout le temps à droite, à gauche. Le Vinyasa et les ateliers sur les inversions sont très à la mode en ce moment… Mais j’avais envie de rompre avec cette tendance. Ne pas être tout le temps dans le challenge ou la force. Prendre mon temps. Être à contre-courant. »

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Classique ou pas

Il fut un temps où être à contre-courant l’aurait terrifié. Petit garçon, le rêve absolu de Cyril est de devenir danseur. Danseur classique, très précisément. Mais la pression des stéréotypes le rattrape très vite : la danse, c’est “un truc de fille”. Quand on est un petit garçon, on devrait plutôt vouloir faire du foot, non ? « Personne ne m’a obligé à renoncer à ce rêve : je l’ai fait tout seul. Je me suis autocensuré. C’est resté pendant longtemps comme un arrière-goût de non-accompli. » Et pourtant, l’intérêt pour le corps ne le quitte pas. Tandis que Cyril fait ses études (« classiques », elles aussi), ses ambitions continuent à faire leur petit bonhomme de chemin. Avec une maman “hippie” qui avait toujours fait du yoga à la maison, le contraire eût été surprenant !

Le jeune Bordelais, qui a passé son enfance entre l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Suisse, une fois adulte, s’envole cette fois-ci pour l’Asie : en Inde, en Thaïlande, en Indonésie, il prend une année sabbatique pour enchaîner les stages et les formations de yoga. À son retour en France, il entame un long travail d’introspection. « Enfant, je voulais rencontrer des psys pour tout comprendre à la nature humaine. Plus tard, je lisais des bouquins de philosophes auxquels je ne comprenais rien… Et puis j’ai rencontré une psychanalyste jungienne avec qui j’ai entrepris un travail d’analyse de mes rêves. » Jung s’est beaucoup intéressé au yoga. Il a longuement écrit sur le sujet, et a donné des conférences sur la Kundalini. Cette découverte change tout pour Cyril, qui voudrait pouvoir respecter l’essence du yoga tout en l’adaptant au monde occidental. Il avoue ne pas s’être personnellement reconnu dans la version “puriste” du yoga à laquelle il a pu goûter auparavant. « Quand on parle de respecter le “yoga traditionnel”, de quelle tradition parle-t-on ? Il y en a tellement ! » confie-t-il, expliquant apprécier la rigueur dans l’enseignement, mais jamais l’extrémisme.

Millimétré

Pour Cyril, dont l’enseignement se rapproche de la philosophie du Yoga Iyengar dans sa précision chirurgicale, c’est là tout l’intérêt de la biomécanique, soit l’étude physiologique de ce qui entre en jeu dans les placements et la respiration. En clair : comment trouver une posture confortable sans danger de blessure. « La biomécanique, c’est la compréhension du corps, c’est palpable, c’est la chair, c’est physique… C’est mon dada ! » dit Cyril en souriant. La papesse de la biomécanique en France est Bernadette de Gasquet. La rencontre avec l’autrice de Yoga sans dégâts a été une révélation pour le jeune enseignant, qui avoue avoir suivi la totalité de ses (nombreuses) formations (sur les abdominaux, le dos, les torsions, le yoga périnatal…), dont certaines deux fois. En bref ? « Ce n’est que du bonheur. Et beaucoup de travail. »

Bien sûr, le yoga ne se résume pas aux asanas. Mais force est de constater qu’on leur donne une très grande place dans les cours et les ateliers. « Alors, quitte à mettre la posture en valeur, autant bien la faire. » Car comme le dit Bernadette de Gasquet, « vous pouvez réciter tous les mantras que vous voulez, si vous rêvez de skier avec les pieds parallèles mais que vos skis sont en “chasse-neige”, vous n’y arriverez pas ». Le travail du corps, pour Cyril, sert à ouvrir une porte vers la spiritualité – à chacun, ensuite, de “voyager”.

Venez comme vous êtes

Cyril est un des intervenants du diplôme de yoga adapté de l’université de Lille. Selon lui, tout yoga est un yoga adapté, parce qu’aucun corps et aucun parcours de vie n’est le même. C’est la beauté du yoga restauratif, qui utilise un grand nombre d’accessoires pour toujours rester dans un étirement confortable : certains auront besoin de deux bolsters (voire trois) au lieu d’un ; certains préféreront poser les briques dans un sens ou dans l’autre ; la sangle ne sera pas toujours nécessaire à tout le monde. Et « même une fille très souple, on devra l’aider à adapter sa posture pour lui donner une consistance ».

Depuis six ans, l’enseignement l’a aussi emmené à la rencontre de traumatisés crâniens – un yoga « ultra-adapté, mais attention, c’est toujours du yoga, pas du macramé ! » Dans ses cours, il a dû accepter le fait que les gaffes seraient inévitables. « Je pensais que je serais très à l’aise tout de suite, mais cela m’a fait travailler sur ma propre relation au handicap ; ça m’a ramené à ma propre validité. Et c’est là que l’élève devient aussi enseignant. » Le lien de confiance et de respect qui se tisse avec les élèves, c’est manifestement ce qui lui tient le plus à cœur ; l’importance d’une réelle bienveillance, ancrée dans le discernement, se ressent au studio Nataraja (“danseur” en sanskrit), qu’il a fondé en 2013. Cyril raconte cette anecdote en riant : un jour, une jeune mère de famille lui a avoué que le yoga ne l’intéressait pas particulièrement… mais que l’énergie de Nataraja lui faisait un bien fou. Une pirouette tout en légèreté qui rappelle ces vers de Rimbaud : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »

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Yoga Magazine n°34


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